Briser les chaînes du viol : porter plainte, un acte de psychomagie pour libérer son âme

Pourquoi porter plainte est un acte crucial, malgré les obstacles ?
 
Les violences faites aux femmes sont un fléau mondial. En France, les chiffres révèlent une réalité glaçante, comme le montre cet article du Monde : « Viol, agressions, harcèlement : quelle est l’ampleur des violences faites aux femmes en France ? ».

    Violences conjugales : En 2023, 271 000 victimes ont été enregistrées par les forces de sécurité, soit une augmentation de 10 % par rapport à l'année précédente.
    Féminicides : Cette même année, 93 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, et 319 tentatives de féminicide ont été recensées.
    Violences sexuelles : Les plaintes pour viol ont augmenté de 282 % entre 2018 et 2022, sans une hausse correspondante des condamnations.

Ces données mettent en lumière l'ampleur du problème, mais derrière les statistiques se cache une autre vérité : une majorité des victimes ne porte jamais plainte. Dans mes accompagnements j'entends souvent des femmes refuser de porter plainte, voilà les arguments que j'entends :

12 Raisons avancées pour ne pas porter plainte

  1. Méfiance envers le système judiciaire :

    • Le système est perçu comme inefficace, partial ou complice des inégalités sociales.
    • Peur que l'affaire soit classée sans suite ou que la justice ne rende pas de verdict équitable.
  2. Volonté d'autonomie et refus de l'État :

    • Les anarchistes ou certains militants refusent de collaborer avec l'État ou ses institutions.
    • Préférence pour une justice alternative ou communautaire perçue comme plus équitable.
  3. Honte et culpabilité :

    • Sentiment d’être responsable des violences subies, surtout dans les cas d’inceste ou de violences conjugales.
    • Crainte de causer du tort à l'agresseur ou à sa famille, renforcée par des liens affectifs ou culturels (syndrome de Stockholm).
  4. Barrières culturelles ou religieuses :

    • L’idée de "Honorer son père et sa mère" empêche parfois de dénoncer un parent abuseur.
    • Les croyances prônant le pardon ou l’idée que "porter plainte, c’est mal" freinent la victime.
  5. Loyauté familiale ou collective :

    • Refus de trahir la famille ou d’exposer publiquement un scandale (surtout dans les cas d'inceste ou de violences conjugales).
    • Peur de détruire la famille ou de traumatiser les enfants.
  6. Peur de représailles :

    • Risque de violences supplémentaires ou de harcèlement de la part de l’agresseur ou de son entourage.
    • Peur des conséquences sur sa sécurité ou celle de ses proches.
  7. Stigmatisation sociale :

    • Crainte d’être étiquetée "victime", "fragile" ou "difficile".
    • Peur des jugements et des réactions négatives, surtout dans des communautés fermées.
  8. Fatigue et épuisement :

    • Sentiment de ne pas avoir la force physique ou mentale pour affronter un combat judiciaire.
    • Conviction que le temps passé a rendu la démarche inutile.
  9. Minimisation de l'agression :

    • Tendance à relativiser les violences subies ou à penser que "ce n’est pas assez grave" pour mériter une plainte.
    • Comparaison avec des cas pires qui justifieraient davantage une action.
  10. Contexte économique ou professionnel :

    • Peur de perdre son emploi ou d’être ostracisé·e dans son milieu professionnel.
    • Dépendance financière à l’égard de l’agresseur, notamment dans les cas de violences conjugales.
  11. Risque d’exposition publique :

    • Crainte que l’affaire devienne médiatisée ou connue au sein d’une communauté restreinte.
    • Souci de préserver la vie privée ou d’éviter un scandale.
  12. Peur de revivre le traumatisme :

    • Angoisse à l'idée de raconter les événements en détail lors de l'enquête ou du procès.
    • Crainte que la procédure rouvre des blessures émotionnelles profondes.

En réponse, voici 12 arguments pour réfléchir à l'intérêt de déposer plainte :

12 Raisons de porter plainte pour s'empuissancer, se guérir et vivre dignement

  1. Briser le silence :

    • Porter plainte permet de nommer les faits et de sortir de la dynamique de l’invisibilité et de la honte.
    • C’est un acte de dignité et de reconnaissance de sa propre valeur.
  2. Protéger d'autres victimes :

    • En dénonçant un agresseur, on peut empêcher d’autres personnes de subir les mêmes violences.
    • Chaque plainte contribue à mettre en lumière des comportements inacceptables.
  3. Reconnaissance officielle des faits :

    • Même si le procès est difficile, porter plainte permet d’obtenir une reconnaissance institutionnelle de ce qui s’est passé.
    • Cela peut être une étape essentielle dans le processus de guérison.
  4. Acte de courage et de résilience :

    • Porter plainte est une manière de transformer sa douleur en force et de se réapproprier son histoire.
    • Cela montre à l’agresseur et à soi-même qu’on ne se laisse pas définir par la violence subie.
  5. Impact sur la culture du viol :

    • Chaque plainte affaiblit les arguments de normalisation des violences sexuelles.
    • Cela contribue à un changement collectif en encourageant d’autres victimes à parler.
  6. Justice comme outil de protection :

    • Les démarches judiciaires peuvent aboutir à des mesures concrètes, comme des ordonnances d’éloignement ou des peines pour l’agresseur.
    • Cela permet de regagner un sentiment de sécurité.
  7. Hommage aux femmes sans justice :

    • Dans de nombreux pays, les femmes n’ont pas accès à la justice. En portant plainte, on honore leur lutte et on utilise un droit que beaucoup n’ont pas.
  8. Donner du sens à son histoire :

    • Porter plainte, même dans une issue incertaine, donne un sens à ce que l’on a traversé en inscrivant son histoire dans une démarche de changement.
  9. Encourager les réformes :

    • Les actions judiciaires répétées dans des affaires similaires poussent les institutions à évoluer.
    • Chaque plainte renforce la pression pour améliorer le traitement des cas de violences sexuelles.
  10. Refuser la peur :

    • Déposer une plainte, c’est refuser de vivre dans la peur ou de céder au pouvoir de l’agresseur.
    • Cela redonne du contrôle sur sa propre vie.
  11. Apporter un soutien indirect aux autres victimes :

    • Les autres victimes peuvent se sentir moins seules et plus courageuses en voyant quelqu’un oser agir.
    • Cela peut les encourager à parler à leur tour.
  12. Participer à la justice collective :

    • La justice n’est pas qu’un acte personnel, c’est une contribution à la société pour protéger les plus vulnérables et rendre le monde plus équitable.
    • Porter plainte est un acte politique, une revendication de droits et de valeurs partagées.


Justice et thérapie : deux espaces complémentaires

Il est important de rappeler que la justice n’est pas une thérapie. Son rôle n’est pas de guérir, mais d’établir une vérité légale, de rendre des comptes, et parfois d’offrir une réparation symbolique ou matérielle. La justice peut être lente, imparfaite, et parfois incapable d’établir une vérité absolue. Cependant, elle existe, et dans de nombreux pays, ce n’est même pas le cas. Refuser de porter plainte ici, là où c’est possible, c’est quelque part perpétuer la culture du viol en acceptant le silence et l’impunité.

 

Les arguments avancés pour ne pas porter plainte sont variés et souvent enracinés dans des croyances ou des émotions complexes.
Sur le plan politique, certains soutiennent que la justice, en tant qu'institution de l'État, représente un système oppressif. Pour des personnes proches de l'anarchisme, faire appel à l'État peut être perçu comme une contradiction à leurs principes, car cela revient à légitimer un pouvoir qu'elles rejettent. Cependant, cette position soulève une question : refuser de porter plainte au nom de convictions politiques ne risque-t-il pas de renforcer l'impunité des agresseurs et d’affaiblir la lutte contre les violences systémiques ?

D’un point de vue spirituel, on entend parfois que porter plainte est "mal", car cela pourrait causer du tort à l'agresseur, et que la justice institutionnelle serait incapable de rétablir un équilibre véritable. Cette vision, souvent influencée par des croyances sur le pardon ou le karma, minimise pourtant l'importance de la justice réparatrice pour la victime et pour la société. Faut-il vraiment privilégier une abstraction morale au détriment de la réalité concrète des violences ?

Enfin, le syndrome de Stockholm, où la victime développe un attachement ou une compréhension pour son agresseur, peut aussi influencer cette décision. Cela peut se traduire par une hésitation à dénoncer, voire par une volonté de protéger l’agresseur. Ce mécanisme de défense, bien que compréhensible sur le plan psychologique, empêche souvent la victime de prendre du recul sur la gravité des faits et de considérer les bénéfices possibles d’une démarche judiciaire.

 

Dans les cas d’inceste, une barrière fréquemment rencontrée est la croyance profondément ancrée dans l’injonction morale ou religieuse de "tu honoreras ton père et ta mère". Cette idée, tirée de traditions religieuses et culturelles, peut peser lourdement sur les victimes, particulièrement lorsqu’elles sont confrontées à l’idée de porter plainte contre un parent ou un membre proche de la famille.

Cette injonction peut nourrir un sentiment de culpabilité, laissant croire à la victime qu’en dénonçant les actes de l’agresseur, elle trahit un devoir filial ou familial. Pourtant, honorer un parent ne signifie pas tolérer l’inacceptable. Porter plainte dans un contexte d’inceste est non seulement un acte de libération personnelle, mais aussi une manière de rompre le silence et de protéger potentiellement d’autres membres de la famille ou des générations futures.

Il est crucial de rappeler que la responsabilité des abus ne revient jamais à la victime. L’acte de dénonciation ne ternit pas l’amour ou le respect légitime pour une famille, mais au contraire, il peut contribuer à restaurer une forme de justice et d’intégrité dans une structure familiale brisée par l’abus.


En tant que thérapeute, j’ai choisi de mettre en place des espaces thérapeutiques qui, dans l’idéal, devraient être soutenus par la communauté et financés par la société. Mon objectif a toujours été de permettre aux femmes de trouver un espace sécurisant pour cheminer, dépasser leurs traumas, et – si elles le souhaitent – aller jusqu’à porter plainte. Ces espaces ne sont pas là pour se substituer à la justice, mais pour offrir un soutien à celles qui souhaitent aller au bout de leur processus.

 

Dans mes stages, les femmes sont bien sûr les bienvenues, mais il est tout aussi essentiel d’accueillir les hommes. Car tous les hommes ne sont pas des violeurs, loin de là, et beaucoup partagent un profond désir de contribuer à un monde plus respectueux et équitable. Dans ce cadre, leur présence peut être précieuse : ils peuvent non seulement travailler sur leurs propres blessures, leur éducation ou leurs éventuels comportements inconscients issus d’une culture patriarcale, mais aussi apporter un soutien sincère et bienveillant aux femmes qui cheminent vers la guérison.

Leur participation offre une occasion unique de déconstruire ensemble des stéréotypes et des barrières, et de rétablir une communication basée sur l’écoute et le respect mutuel. Elle permet de montrer qu’hommes et femmes peuvent collaborer pour créer un espace où les récits de douleur trouvent un écho, et où des solutions collectives émergent.

Accueillir les hommes, c’est aussi transmettre un message fort : la lutte contre les violences faites aux femmes n’est pas une affaire de genre, mais une responsabilité commune. Et pour que le changement soit réel et durable, il doit être porté ensemble, avec courage, compassion et engagement.

 
Cependant, je reste convaincu que ne pas porter plainte limite la portée de cette démarche thérapeutique. Le dépôt de plainte est un acte de psycho-magie. Mon accompagnement s’inscrit dans l’espoir de contribuer à une société plus juste. Je respecte les choix personnels, mais je ne peux cautionner un refus de plainte qui renforce les mécanismes d’impunité et de silence.

Si vous êtes victime de violences et hésitez à porter plainte, je vous invite à réfléchir à ces questions :

  • Quelle voix voulez-vous laisser à votre douleur ?
  • Comment pouvez-vous transformer cette expérience en un acte de résilience et de justice ?
  • Comment ce choix peut-il impacter non seulement votre vie, mais aussi celle des autres femmes ?

Chaque choix est personnel, mais il est essentiel de reconnaître que la justice, bien qu’imparfaite, est un outil puissant pour briser le cycle des violences. Même si le violeur n'est pas condamné. Parfois, c'est l'accumulation de plainte qui permet de casser d'arrêter le violeur.

Porter plainte est une opportunité d’acte de courage et d’engagement, une démarche qui, malgré ses défis, peut devenir une lumière porteuse d’espoir dans un système parfois sombre. C'est participer à rompre le cycle de la violence.

Novembre 2024

Jean-Guillaume BELLIER

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