Ai-je le temps ?

Ai-je le temps ?

Ai-je le temps de m’allonger dans l’herbe à l’ombre des arbres ?

Ai-je le temps, le droit et la possibilité de m’étendre, complètement nu, dans la chaleur de la fin de l’été ?

Ai-je le temps, l’envie, le désir de regarder les feuilles, le ciel, les couleurs, le bleu du ciel et le vert des feuilles ?

Ai-je le temps de sentir la chaleur de l’air chaud et du vent léger sur ma peau ?

Ai-je le temps et l’idée de regarder le ciel bleu azur pour y déceler l’immensité de l’infini dans un après-midi de l’été ?

Ai-je le temps, précieux, de croire ne rien faire en étant là, allongé dans l’herbe sèche de la fin de l’été ?

 

Si je n’ai jamais le temps de sentir, de goûter, de regarder et de vivre l’expérience d’être allongé, nu, dans la chaleur de la fin de l’été, au soleil sous les arbres, alors qui suis-je ?

Si je pense que s’allonger pour contempler le ciel et les feuilles des arbres, c’est de la paresse et du vice, qui suis-je ?

Si je ne connais que le labeur, le travail, la dureté, la contrainte et les épreuves, qui suis-je ?

Comment alors, puis-je aimer ?

Si je n’ai pas le temps de m’allonger pour regarder le ciel et les arbres, puis-je aimer ? Est-ce que je crois que j’aime mes enfants, mon conjoint ou ma conjointe ou mes amis ? A moins, que je ne cherche en eux, ce que je ne prends pas le temps de trouver en moi. J’attends d’eux qu’ils me donnent ce que je sais pas recevoir simplement, en m’allongeant dans l’herbe.

 

Si je ne connais que la peur, la privation, la crainte de manquer, la compétition, l’obéissance aux ordres, aux diktats, aux injonctions devenues des normes, et que je n’ose pas les questionner alors commet puis-je envisager de m’allonger, nu, dans le soleil, sous les arbres de la forêt quand vient la fin de l’été ?

Si je ne connais que le noir triste du bitume, le gris déprimant du béton et de la tôle, le bruit cassant des moteurs et des machines et la lumière criante des écrans et des leds, suis-je encore vivant ?

Suis-je devenu un robot de chair, d’os et de sang ?

 

Si je ne connais pas le plaisir de me baigner, à nouveau nu, dans l’eau pure d’une rivière ; parce qu’il n’y a plus de rivière mais des égouts et de l’eau de piscine chlorée, morte et toxique, alors comment puis-je aimer cette Terre, cette planète, cette vie et ses habitants ?

Comment puis-je prendre soin de l’eau, de l’humus, des arbres, des herbes, des insectes, des oiseaux et des animaux ?

Si je ne connais que les machines comme amies, suis-je comme le caneton qui vient de naître, qui s’attache à la première chose qu’il voit comme une mère ? Si les machines sont devenues ma mère, alors qui suis-je ?

 

Si je peux un instant arrêter de servir les machines et les robots, pourrais-je m’accorder le temps de redevenir, un instant l’enfant de la Terre, ma mère, le fils du soleil et des étoiles ?

Peut-être qu’alors je me rappellerais qui je suis, dans un instant de renaissance et d’éveil à moi-même, alors je saurais vivre.

 

Jean-Guillaume Bellier

20 septembre 2023, dernier jour de l’été