Accompagner ses enfants

Il y a un questionnement récurrent sur la façon dont il "faudrait" s'occuper de l'accompagnement de nos enfants. Voici queqlues points de vue, qui je pense, permettront de mener nos réflexions plus loin.

Léandre Bergeron, Comme des invitées de marque

« Jamais je n'ai exigé que mes filles exécutent quelque corvée que ce soit, comme faire la vaisselle, rentrer du bois ou mettre de l'ordre dans leurs chambres. J'ai toujours été convaincu qu'un individu qui fait un travail quelconque sans conviction ou sans satisfaction, par obligation, par « devoir », pour « apprendre à faire sa part », pour tout autre raison que le plaisir de faire, est comme un forçat qui casse des pierres en pensent bien sûr aux crânes de ses gardiens. Un enfant qui doit faire une tâche pour « apprendre à travailler » n'apprend rien de plus que l'obéissance. Et l'obéissance c'est la décentration, l'aliénation (devenir autre que ce qu'on est). Qu'est-ce qu'une enfant apprend à laver la vaisselle quand, en fait, elle veut être dehors à courir, jouer, s'amuser ? Elle apprend la frustration. Et la frustration, quoi de plus aliénant ?
Je me suis dit, quand mes filles étaient petites, que jamais elles ne devraient faire des travaux sans conviction, que si elles voulaient m'aider à accomplir des tâches toujours plus nombreuses dans une petite ferme, libre à elles, j'en serais ravi, mais que, si elles se tannaient ou sentaient l'effort trop grand, elles pouvaient toujours  décrocher et aller faire autre chose. (…) J'ai parié contre tous ceux qui sont convaincus qu'il faut qu'on soumette les enfants à des tâches pour qu'ils apprennent à travailler. Et j'ai gagné mon pari. Moins on leur demande, plus les enfants en font. Oh, ça peut prendre du temps et quelque-fois c'est presque déséspérant. »

Léandre Bergeron, 2002, Comme des invitées de marque, éd trois pistoles, p 66-67

Peter Gray, Libre pour apprendre

«  En règle générale, les enfants n'aiment pas l'école. Cela est confirmé, si besoin, par une large étude menée il y a quelques années, qui montrait que, de tous les endroits où les enfants passaient un temps significatif chaque semaine, l'école était celui où leur bien-être était le moindre. Quand les enfants aiment l'école, c'est généralement parce qu'ils y voient leur amis et non à cause des enseignements. Le caractère cauchemardesque de l'école est un sujet de plaisanterie dans tous les pays où la loi oblige les enfants à y aller, et pas seulement dans le nôtre. C'est un poncif des bandes dessinées, où, à chaque rentrée, les enfants sont au désespoir tandis que les parents (apparemment lassés de la présence de leurs rejetons) se réjouissent, et inversement la veille des grandes vacances. Pourtant, si on traitait les adultes comme on traite les enfants à l'école, personne ne trouverait ça drôle. »in Peter Gray, 2011, Libre pour apprendre, éd. Actes sud, p 101.

Jean-Pierre Lepri, La fin de l'éducation ? Commencements...

« La relation dominateur-soumis, exploiteur-esclave… existe depuis des millénaires. Pour autant, ce n'est pas une fatalité, et en sortir n'est pas une utopie. Un autre type de relation est parfaitement possible, sous des modalités diverses.
Ce qui met en place la relation dominateur-soumis depuis l'enfance et qui la cultive par la suite, c'est l'éducation. Toutes les éducations : en famille, à l'école, dans la rue, au travail, à la télé, dans la presse, entre amis… qu'on les appelle initiale, continuée, perfectionnement, populaire, citoyenne… qu'elles se qualifient de libératrice, émancipatrice, alternative, nouvelle, moderne, de l'an 3000… Quelqu'un y guide, oriente, facilite, aide… un autre, lequel est guidé, orienté, « facilité », aidé… Ce simple mode de relation entre deux personnes, sous-jacent à toutes les éducations, est la matrice de la reltion de dominance.
De ce point de vue, la « conscientisation » ou le « développement » (le développement personnel par exemple) ne sont qu'un changement du contenu de l'éducation. Ce ne sont que d'autres modalités du même schéma éducatif, porteuses donc de la même structure sous-jacente – l'intention d'un éducateur pour et sur un éduqué. Elles auront donc les mêmes effets ou conséquences. Une « autre » éducation ne fera que prolonger ou renforcer la même situation.
L'éducation, elle-même et en soi, est le problème : elle ne peut en être sa solution.
La solution ne réside donc pas dans une énième éducation alternative, mais dans une alternative à l'éducation.
L'alternative à l'éducation, c'est l'apprendre. Dans l'apprendre, il n'y a plus qu'une seule personne, celle qui apprend. Même si, bien entendu, elle apprend aussi des autres, ce n'est pas du tout la même situation. L'éducation est centrée sur l'éducateur. Apprendre est centré sur l'apprenant. Celui-ci apprend de son entourage, lequel est composé de personnes qui  ont une expérience de la vie et des savoirs – et non, c'est bien différent, d'éducateurs qui l'éduquent. Apprendre est inhérent à la vie humaine, tout simplement parce que l'être humain est doté d'une mémoire et d'une volonté. Il retient ce qui lui convient, pour, le moment venu, le rechercher, comme il retient ce qui ne lui convient pas, pour l'éviter. Ce qui le guide dans la nature de ses mémorisations et dans la manifestation de ses volontés, c'est son instinct de survie, une sorte de force vitale, sur laquelle son intellect n'a aucun pouvoir. Il intellectualise par la suite, ces expériences – ou pas. Mais il a appris. Apprendre , c'est donc vvre – et, inversement, vivre c'est apprendre – sinon je ne survis pas.  (…) Apprendre est plutôt le fond « naturel » de tout être humain. (…) C'est parce qu'il est privé de son apprendre naturel (par l'éducation) que l'homme peut croire qu'il a « besoin » d'éducation pour apprendre. » in Jean-Pierre Lepri, 2014, La fin de l'éducation ? Commencements…, éd. Myriadis, p 84-85



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