Récipiendaire

Récipiendaire

 

Récipiendaire de la violence des hommes, j’écoute les bruits des âmes brisées. Par ces mots, je vous partage ma peine d’être le récipiendaire des cris, des larmes et des silences des victimes de violences. Ces cris, ces larmes et ces silences résonnent dans l’assourdissant silence de l’injustice. C’est ma rage que je vous écris. Je vous la partage car elle déborde de mon cœur, vibrant d’amour pour ce monde malade.

Je vous dis ici, ma rage d’entendre l’injustice de cette femme, qui, enfant, assiste terrorisée aux coups sur sa mère, de son père drogué à l’alcool et à l’héroïne. Cet enfant cherchant de l’aide téléphone aux gendarmes. Dans sa nuit tragique, ils la laissent et raccrochent. L’appel à l’aide d’une enfant, ce n’est rien.

Ma rage, c’est d’entendre cette femme qui sortant de l’enfance, devient belle et dans son collège vit l’humiliation. Son professeur reluque sa poitrine. Révoltée, elle lui dit son mécontentement de n’être regardée qu’avec un désir mal placé. Bout de femme de 14 ans, la voilà, renvoyée chez le principal et punie pour insolence. Quelle justice dans le huis-clos d’un collège qui préfère le silence à la vérité, celle de dire non à un homme mal embouché, étriqué et frustré ?

Ma rage, c’est d’écouter cette femme qui enfant, la nuit, tremble de peur quand son père entre dans sa chambre, se glisse dans son lit pour la violer. La mère entend, sait et se tait. Pendant des années, cet enfant subit les viols répétés d’un père fou à lier. Rien n’est fait, rien n’est dit et des années après cette femme dévastée ne sait plus où est la vérité. Et des hommes avides, sentent cette proie fragile, préparée à se laisser soumettre, la violent, répétant sa sombre histoire. Le temps passe et elle demande réparation dans un palais de justice de glace qui gèle ses velléités. La poussière s’installe sur les dossiers. La justice veille sur l’injustice.

Ma rage, c’est celle d’entendre cette femme pleurer et trembler d’avoir été tant violée par son géniteur. Quand la mémoire revient en entier, c’est avec les détails de son corps d’enfant. Il est écrasée sous les poids du corps de son père, ses hanches sur son frêle bassin, son sexe brûle en elle. Et dans les râles de son plaisir, elle entend la jouissance hideuse de cet homme perdu. Le sperme, semence sublime, jaillit et devient un fiel gluant et puant. Alors, cet enfant se noie dans les feuilles des arbres qui bougent sous un vent léger, dans le soleil de l’été.

Comment oublier cette femme ignoble, sa mère, qui lui demande de lécher et de ravaler son petit déjeuner vomi sur le sol. Comment oublier quand son corps malade veille pour lui rappeler le passé ? Comment aider cette enfant prisonnière de l’enfer de son passé, quand le psychologue de l’école derrière son bureau métallique lui dit qu’elle ment ? Pourtant ses paroles sont la vérité. Il dit : Phantasme ! Ce mot inconnu la plonge à jamais dans un océan de détresse.

Que ma rage explose quand le père continue à la violer et les frères aussi !
Que ma rage transforme la gangue de folie qui l’enferme, quand cette femme habituée à subir vit ses premières rencontres avec des hommes, des amants qui sentent la soumission, la violent, la battent et la torturent !

 

Terre, es-tu l’enfer des enfants et des femmes, et le paradis des hommes fous ?

 

Que ma rage brise les verrous infâmes qui maintiennent cette âme, femme survivante d’une guerre contre son corps et son sexe, pour qu’elle trouve le plaisir d’une jouissance avec l’homme aimé.

 

Ma rage, c’est celle de voir cette femme possédée, le regard vitreux, par une chose enragée. Le corps tendu, arc-bouté et hurlant, elle n’est que l’objet d’entités obscures. Réceptacle docile, fruit facile à prendre, préparé par les viols et les coups de son père et d’une mère complice.

Ma rage, c’est de voir le désespoir dans les yeux de cette femme, dont le chagrin de ses 13 ans s’épanche enfin. Violée par quatre ou cinq hommes, son âme est brisée. Elle fuit le souvenir de cette violence en m’expliquant qu’elle est malade, bipolaire, pour oublier le néant qui la ronge.

Ma rage, c’est celle de cette femme, qui infiniment meurtrie par les infâmes tortures de son enfance attendait de son médecin thérapeute, tendresse, douceur, écoute et guérison. Comment a-t-il pu la violer, utilisant et déviant son savoir d’hypnose pour assouvir ses sombres desseins ?

Ma rage, c’est de sentir son impuissance à demander justice. Que vaut la parole d’une femme seule, face à un homme parvenu au faîte de sa gloire, maître en méditation, auréolé de sainteté - à l’âme viciée ?

 

Ma rage, c’est de découvrir cette femme terrorisée d’avoir été violée par son oncle tant aimé. Trahie et envahie par la solitude : Que faire quand il est là, proche, la maison d’à côté ?

 

Ma rage, c’est cette jeune fille attouchée par son grand-père, qui ravale la honte de dire la vérité. Pour garantir l’harmonie d’une famille, cela vaut-il la peine de s’emmurer dans un profond silence ?

 

Ma rage, c’est toutes ces violences dont les cris sont étouffées par une justice injuste. Un univers malsain, où le ministre de la justice, en 2022, est un pervers sans cœur, un mercenaire récompensé d’avoir fait taire la vérité. Dans un procès truqué, il a fini de détruire la vie d’enfants violés, battus et traumatisés.

 

Ma rage, c’est celle de ces femmes qui contiennent les cris de leurs souffrances quand elles sentent la brûlure glaçante des mains, d’une haleine et d’un sexe d’un père qui les transperce.

 

Ma rage, c’est mon souffle qui aime ses femmes survivantes, mutilées, maquillées pour cacher leurs peines.

 

Ma peine, c’est de n’avoir que quelques mots, que quelques gestes, que quelques minutes à échanger contre des billets. Car comble de la folie, elles me payent pour se confier et se guérir. Je devrais à chaque rencontre leur offrir mille et une fleurs, des fruits doux et sucrés et des mots, de la poésie. Même si à l’instar d’autres thérapeutes je sais aider à dénouer les nœuds des traumas, nous serait-il possible pour ces femmes blessées de leur donner sans compter, un peu de sororité, d’amour et de paix.

 

Alors si j’écris en mon nom et certainement au nom d’autres hommes, des mâles, ceux avec un sexe, un pénis, les testicules, des gonades et des hormones, c’est pour vous partager un message sincère. Chères femmes, sages, belles, courageuses, aimantes et puissantes, si tout ceci n’a pas de sens, c’est parce que l’injustice est un état temporaire de la vie. L’injustice, c’est la montagne que nous gravissons ensemble. Au sommet, l’espoir, où nous trouverons, nous bâtirons et nous inventerons un monde juste et bon.

 

Jean-Guillaume Bellier 11 avril 2022